
numéro un
jeu de lumière
Avec les textes
Noctambules de Sarah Cloutier-Boulay
Inhaler des nébuleuses de Maude Bernier
Les lumières sont plus belles sans toi de Catherine Légaré
Attrapé de Loïc Bonhomme
Sans titre de Sandrine Davin
Amaurose de Mélanie Viau
Spectre d'Islande de Chantal Fortier
Les coupures à froid de Sarah Gauthier
Nuits adolescentes de M. Malt
En un souffle de Laurence Mongeau
ainsi que les illustrations de Lauriane Florent et les photographies de Coralie Plante
éditorial
Sans même qu’on l’ait invitée, la lumière se faufile derrière nos paupières closes, se taille une place sur nos trajectoires. Toujours, elle s’imprègne dans notre quotidien et nos souvenirs, elle nous suit, nous bouscule. Parfois fascinante, d’autres fois dérangeante, la lumière fait de nous, et de nos ressentis, son terrain de jeu.
En parcourant ce premier numéro, nous vous invitons à baigner dans des tonalités soyeuses et bestiales, à vous laisser submerger par des foudres inquiétantes ou encore bercer par des espoirs diffus, mais surtout, à assister à la naissance de nouvelles étoiles sur la map littéraire.
La revue les Éphélides a surgi d’un désir de faire briller la littérature québécoise et la richesse des plumes d’ici. Jeu de lumière constitue le fruit des efforts réunis des autrices, d’un auteur et de nos collaboratrices.
À chacune et chacun ayant apporté son éclat
à la parution de ce numéro
vous occuperez une place toute spéciale
car vous formerez à jamais
l’origine d’un projet
en expansion.
Geneviève Lagacé et Élodie Cossette-Plamondon
Codirectrices éditoriales
Noctambules
Un poème de Sarah Cloutier-Boulay
je frappe et entre en effrontée polie
juillet en fièvre me coule dans le dos
il fait nuit dans ton appart-
tanière c’est l’heure indécente
juste la lune cette renarde
qui s’invite par l’échancrure des rideaux
se faufile lumineuse
ce soir je reviens
en famine de toi
poser mes bottes et la route avec
sur le tapis de l’entrée
ma carapace de cuir fin s’est échouée
au large de tes douceurs
je clignote de fatigue mais tout près
le parfum de ton attente scintille
j’ai des lucioles sous la peau
au bord de l’émeute
à l’orée de ton éclat franchir
le seuil enfin
la chaleur limpide s’abîme
le long de ton cou goutte à
goutte
une offrande aux reflets salés
pas d’autres bijoux rien que les draps
et ton sourire à cent mille watts
de sève et de miel même le soleil
serait jaloux
tes yeux ta bouche tes mains
invoquent ma chair tu m’as manqué
le ventilateur ronronne tout bas
je n’ai plus
sommeil
agace-moi attise-moi
craque une allumette sur mon désir
comme on joue avec le feu
avive-moi embrase-moi
t’es ma golden hour privée
mon amour de pyromane
empreintes sauvages pistes
de soie mouillée
sous la surface tes sens ruissellent
viens caresser mon territoire
de ton souffle écarlate
je veux agoniser dans tes bras pâles
d’une tendresse sans pitié
cartographier le relief
de ton corps infrarouge
frôler rugir trembler se tendre
j’adore t’entendre chanter tu me dis
tes lèvres pleines m’arrachent
un hymne cassé de fauve
j’ai laissé mes griffes
quelque part dans ton lit
nos crocs étincellent
sous le halo nocturne
onduler dans la pénombre liquide
t’incendier
cueillir la rosée sur ton front
les constellations sur ta nuque
des galaxies pourpres au matin
on peut briller jusqu’à l’aube
la prochaine année-lumière
je n’ai
plus d’orgueil plus de rempart
tout est
clair
au fond

Inhaler des nébuleuses
Un essai poétique de Maude Bernier
On m'a conditionnée à nager là où ma respiration ne touchait pas mon corps. J'y ai trouvé, dans ma noirceur antionirique, une série d'indices subtils.
La plupart du temps, je sentais mon soleil réfractaire lors des nouvelles du soir ou dans les allées d'un Walmart. J’appelais ça une sensation de saleté globale sur une chair inhabitée. Trois ou quatre 8 à 5 et me revoici ivre, à moitié aux commandes de mon personnage. Difficile de danser entièrement lorsqu'on est limité à quelques parcelles de joules par semaine dans le creux des côtes. Et encore faut-il trouver, suspendu entre le tic et le tac, le scintillement de sa furtive lucidité. Cet éclat arbore toutes sortes d'aspects – jardins incandescents, pieds nus sur des perles d'herbe ou joues rouges au beau milieu d'un massacre de couvertures... Quel qu’il soit, on doit toujours rester attentif à la présence du non-soi dans soi, car elle peut facilement prendre des allures somnifères lors des duels entre ce qui pense et ce qui ressent.
Je le sais, maintenant. Aussitôt que mon ombre tente de me boire, je la scrute en l'aimant doucement et j'y trouve, entre autres, des siècles de captivité spirituelle, sans parler de cet anachronique besoin d'échanger son chapeau contre un abat-jour aussi régulièrement qu'il est recommandé par la posologie somatique des manipulateurs de masse et d'énergie.
Heureusement, il existe des brèches dans ce cratère d'encre. J'aime celles qu'on appelle silence et desquelles on obtient la substance phosphorescente qui allume les lucioles, qui contracte le diaphragme et déploie la tête dans l'estomac du ciel.
Le sommeil n'est plus une option quand on inhale des nébuleuses chaque jour, et je souhaite à tout le monde de trouver en ces lignes des indices combustibles pour se sortir de sa prochaine nuit.

Les lumières
sont plus belles
sans toi
Un texte de Catherine Légaré
On fait l’amour, les yeux fermés, dans le noir.
Tout ce qu’on peut pour ne pas se voir.
Tu cherches mon corps parmi les parfums des centaines de femmes passées entre tes entrailles avant moi –
impossible de me tatouer à ta peau sans saigner un tout petit peu.
J’étire l’extrémité de mes branchies. Je respire mal. Tu ne vois rien, expires plus fort, j’attends. Crisse que c’est tough de survivre dans ton brouillard.
Je tends la main pour allumer une chandelle, tu me claques les doigts pour me rappeler de rester dans l’ombre –
des milliers de lanternes dans ma tête pour me garder éveillée.
J’ai tous les souvenirs des autres collés au bas de mon dos. Les papillons dans mon ventre frétillent pour s’échapper; des algues se mêlent à mes cheveux.
Je plonge dans le fleuve de tes mensonges, tes draps m’étouffent –
quand cesseras-tu de nager à contre-courant?
Je ne suis plus là. Je me suis scotché les yeux pour m’assurer de ne plus jamais les ouvrir.
J’éteins tous les feux en moi, comme on m’a appris à le faire quand on se noie avec des garçons qui ne se rappellent plus nos noms.
De l’Alzheimer en guise de cadeau, une mémoire de poisson rouge pour mon plaisir. Je feins d’être conquise par ton hypocrisie.
Le jour est plus beau sans toi; j’attends patiemment que le soleil envahisse le creux de ma gorge. Je peux me crever les yeux des milliards de fois, le temps que tu sortes de nous.
C’est difficile de se sentir belle quand les regards sont tristes et dévient ailleurs.
J’avais pourtant perçu cette lueur qui t’habitait doucement.
Si seulement on s’était déjà vraiment rencontrés.
Attrapé
Un poème de Loïc Bonhomme
la beauté
d'une musique
kitsch
sur fond de nuages
gris
de nuages gris
gris et bleus
de nuages gris et bleus
sous un ciel de fin
d'automne
la
beauté
cette
beauté
kitsch
me
oui
me prend
m'attrappe
le cœur
la beauté
d'une
lumière
kitsch
kitsch elle aussi
kitsch et posée
posée
sur un fond de rues
de rues grises
grises et
orange
de rues grises et orange
sous le ciel d'un début
de nuit
d'un début de nuit la fin
d'automne
cette
beauté
kitsch
me prend
oui
me prend
me prend
m'attrappe
le cœur
la beauté
oui
la beauté
d'une
lumière
électrique
d'une lumière électrique oui
d'une lumière électrique et
kitsch
kitsch et électrique
d'une lumière électrokitsch
posée dans la
ville
dans le calme
noir
de la ville
posée dans le calme noir de la ville
le calme noir de la ville juste
avant
avant que la tempête du
la tempête du début
d'hiver
tempête grise des
flocons
gris
d'hiver
tempête grise des
vents
gris
d'hiver
tempête grise des
visages
gris
des visages gris aux yeux rouges
avant que la tempête des visages gris aux yeux rouges
ne déferle
avant que la tempête grise des visages aux yeux rouges du début d'hiver dans le calme
de la ville – noire – dans les rues – orange – sous ces nuages – bleus
ne déferle
ces visages
beaux
issus du
nés dans
le kitsch
issus et nés dans le kitsch
ces visages
me prennent
m'attrappent
ils me
regardent
avec leurs yeux
rouges
me regardent et
me prennent et
m'attrappent avec
leurs yeux rouges
leurs yeux rouges
rouges de l'espoir
de l'envie
rouges de l'espoir et de l'envie
de l'envie
de vivre
de l'envie de vivre
de vivre
vivre
juste vivre
Sans titre
Un poème de Sandrine Davin
éclat de lune
silence carbonique
pendu çà et là
où nos lèvres épineuses
effleurent la nuit de rouille

Amaurose
Un poème de Mélanie Viau
l’écume des marées s’abat
sur tes cassures
les vents se font meurtriers
dans tes coins de lune
tu manges des phares
un affamé sous la peau
pour ne pas perdre la vue
tu comptes les étoiles
sur la pointe des pieds
Spectre d’Islande
Une nouvelle de Chantal Fortier
Fixer un objet dans un mur sans tout détruire.
Je repère cette annonce sur un babillard, à la sortie de la pharmacie. Une frange de papier présente, en série, un numéro de téléphone. Il y a tant à faire dans mon nouvel appartement : plâtrer, sabler, peinturer et raboter les portes qui résistent à se fermer. Ma vie a besoin de se refaire une beauté, et moi, d’installer une nouvelle histoire sur du neuf. J’arrache une des languettes et la mets dans ma poche. En Islande, dans le Mývatn, il y a de l’ombre à midi. Dorée par beau temps, incandescente sous la pluie, la clarté du jour tombe comme arcs-en-ciel et feux d’artifice. De retour à Montréal, j’ai choisi cet appartement me rappelant l’éclat si particulier de la nébuleuse luminosité de Hvoll. Coin fleuri, balcon précaire, les fenêtres s’ouvrent au nord sur un jardin d’enfants. Au déclin du jour, le soleil entre par la baie du salon, filtre les frondaisons du févier que le vent soulève. Leurs empreintes ajourées dansent sur le plafond. J’imagine les longues soirées d’automne où je contemplerai la lumière lézarder cet espace blanc.
Depuis trois semaines que je suis là et, l’été bien amorcé, je dois me réhabituer au cycle raccourci des heures. Ainsi ai-je libéré toutes les entrées, portes et fenêtres; je veux voir juste, plus loin et plus clair. Je désire purifier les moindres interstices, les inonder de lumière, les blanchir. Le jour, les imperfections sont faciles à colmater. Le soir, les ampoules, pendues chichement au bout de leur filage, répandent une lumière crue et transforment en large miroir la grande vitre du séjour. Pour les travaux, je n’ai plus l’impression d’être seule. Sur les cloisons de gypse, j’étale des lambeaux de blanc éclatant. Par trois fois, je réussis à ne pas croiser leurs trajectoires, mais à les dérouler en parallèle. Je fais un souhait. De petites satisfactions comme celles-là me suffisent. Le rouleau de peinture suinte et ce bruit humide me ravit. Je sais quand je roule à sec.
Avec la montée de la chaleur, les travaux de peinture s’intensifient. À l’étape du découpage au pinceau, j’applique d’abord du ruban-cache autour des cadrages, des interrupteurs, des arêtes murales et des plinthes. En Islande, dans le port de Hafnarfjörður, un périmètre de sécurité avait été déployé entre des cônes orange. Pendant que je peinture, la plante de mes pieds colle au sol. Dans le pli de mes coudes et de mes aisselles, au creux de mes genoux ramenés sous mon corps, la sueur me fige dans la position de ce labeur qui exige contorsions et minutie. Je n’arrive pas à fixer, seule, mes idées, comme mes tablettes et mes luminaires. Je baisse les bras, abdique. Dans ma poche, je roule un papier entre mes doigts : Fixer un objet dans un mur sans tout détruire. Le numéro de téléphone semble briller dans la pénombre naissante. J’envoie un texto, juste pour voir.
*
De Hvoll, nous étions partis la veille. Il faisait jour à s’y méprendre, même à vingt-deux heures. Peu avant minuit, l’étendue était encore survolée d’oiseaux riverains. Pendant que des huîtriers fouillaient la vase de leur bec orange, quelques eiders battaient des ailes avec des plaintes sonores et, dans l’horizon bleu-mauve, des sternes dessinaient de lentes trajectoires. De longs doigts de mer s’avançaient et se refermaient sur la glaise compactée, la purgeant de ses alluvions. La mer s’immisçait comme elle le pouvait, en louvoyant, entre joncs et dénivelés boueux. Sur la route, nous passions sous les derniers rayons, et des lames étincelantes ciselaient reliefs et végétaux d’un doré mémorable.
*
De mon téléphone retentit une alerte. Je lis : Merci de votre confiance. Nous installerons vos luminaires et tablettes murales sans problème. Quelles sont vos disponibilités? Les points continuent à onduler sur l’écran. J’attends la suite. Mais le boulier s’immobilise dans un silence blanc. Je n’arrive toujours pas à fixer mes idées.
*
À Hafnarfjörður, sur le quai de bois, traînaient des bottes de cuir verni. Je n’ai pas fait attention à ce détail sur la traverse qui menait au chalutier. Le lendemain, dès l’aube, nous avions pris la mer, laissant tout dans l’endormissement singulier des brumes. Poussif, le moteur de notre embarcation crachotait dans les embruns marins.
Des études scientifiques prouvaient que les colonies de macareux moines dépérissaient d’année en année; la pollution lumineuse et la proximité des navires côtiers fragilisaient leur habitat et leur survie. Beaucoup finissaient nichés au pied des phares et des lampadaires. Je devais prélever des spécimens, les identifier et cartographier leurs aires de nidification. Notre équipe de recherche avait découvert des lieux de ponte, la plupart pillés par la chasse illicite. Une ancienne tradition veut que leur chair, parfois mangée crue, soit un festin très recherché. Les mythes accordent de fausses vertus à la biologie.
*
Je ne réponds pas tout de suite au texto reçu. La fatigue me gagne, je m’allonge sur le divan. L’ombre du févier grandit, envahit le mur, puis le plafond; sa silhouette y imprimant un pochoir saisissant. Au bout d’un instant, je m’assoupis, le regard lassé par la chasse aux clairs-obscurs. Quelques heures plus tard, je me réveille en sursaut. L’arbre se dissout dans l’épaisseur de la nuit, momentanément illuminée par de brefs éclairs colorés qui clignotent, du mur à mon visage, et m’aveuglent après quelques secondes. Perplexe, et encore sous l’effet du sommeil, je prends ce kaléidoscope inattendu pour un jeu malicieux d’enfant. Chaque soir, le manège recommence avec une régularité maniaque. Au bout du troisième, j’appréhende la silhouette fantomatique du févier et, au péril de ma nuit, terrorisée, je guette la singulière apparition des feux-follets.
Le quatrième soir, le vent se lève brusquement et secoue le grand févier. À chaque bourrasque, des dizaines de silhouettes sombres entrent par la porte-fenêtre. À l’heure habituelle, le ballet multicolore et punctiforme prend scène. Accroupie, je longe le mur qui mène au balcon pour tenter d’élucider le mystère. Je respire en tremblant, avançant à quatre pattes sur de faux copeaux de verre. Je ne veux pas être aperçue. Je me sens traquée, poursuivie, incapable d’échapper au jeu des miroirs. Entre les arbres, j’essaie de discerner la provenance des faisceaux polychromes. Sur un balcon de l’édifice d’en face, je crois distinguer une forme obscure et, au centre, un possible miroitement.
*
Au terme de la journée, alors que nous mettions le cap sur le port d’Hafnarfjörður, je supputais preuves et arguments qui témoigneraient en faveur des mesures d’urgence à prendre pour protéger les aires de reproduction des perroquets de mer, lorsque j’aperçus une agglomération de bateaux de patrouille autour du quai des chalands d’où nous étions partis, le matin même. Une certaine agitation semblait monter du débarcadère : gyrophares, fouille armée et attroupements. Je reconnus l’Escouade Viking. Des hommes investiguaient l’intérieur du chalutier voisin de notre emplacement, le Polar Nanoq. Pour mieux voir, je gravis la proue. La nuit commençait à perdre ce que l’aube gagnerait avec le lever du soleil. L’eau scintillait d’étoiles et la mer semblait porter le ciel et le bercer. Au loin, le tonnerre grondait et semblait tirer des salves de perséides.
*
Au chambranle de la porte, je m’appuie, le visage tourmenté et barbouillé des funestes lueurs. À la hauteur de mes yeux, le faisceau s’immobilise; ça me tue. Et la sonnette, longuement stridente, me paralyse. Je suis clouée, à nouveau contrainte et dominée. Le silence qui suit est encore plus assourdissant. Le prisme s’éteint. Devant moi, l’éternité se braque, sans recours. Je suis géolocalisée. Le plancher craque sous mon corps qui, même statique, trahit ma présence. Je repense à mes souliers, laissés sur le palier extérieur. Je m’en veux. Je crains qu’ils ne deviennent mon vestige. Le souvenir fou des sirènes d’Hafnarfjörður résonne dans ma tête que je saisis de mes mains. J’entends le poids des ombres, d’imperceptibles mouvements de masse, puis un frottement. Un surgissement se manifeste comme si, derrière moi, quelqu’un venait.
Mais surtout ne te retourne pas, le sale animal te prendrait pour une proie.
J’avance la main et, dessous, la poignée tourne. Mon cœur charge.
*
La police islandaise avait ratissé l’île, l’arme au poing et la rage en travers des dents. À soixante kilomètres au sud de Reykjavik, près d’un phare, le corps d’une jeune fille fut retrouvé, sans chaussures ni papiers. Comme un oisillon de mer assassiné. Abandonné. À l'intérieur du Polar Nanoq, il y avait des traces de sang. Le sang de Birna Brjánsdóttir, portée disparue, violemment battue et jetée vivante à la mer; morte noyée, sous un ciel placide et sans aurores, engloutie par l'Atlantique Nord.

Les coupures
à froid
Un poème de Sarah Gauthier
un petit bout de moi
se dessine un parcours
entre mes grains de beauté
il me dicte les mots
nomme le trouble sur mon corps
les fuites interdites
je veux qu’il s’échappe
emporte avec lui
les traces de suie loin de ma peau chiffonnée
la colle s’écoule de mes pores
ce qui me fixe
trouve une issue
que je n’ai pas ouverte
sous mes pieds une flaque blanche
l’espoir d’en sortir indemne
s’y fêle
pourtant
je lève la tête au ciel
confonds
l’éclat des branches gelées
l’orange diffus des lampadaires
mon visage capture les scintillements
des coupures à froid
au milieu des formes autonomes
mars me coule dans les yeux
Nuits adolescentes
Une nouvelle de M. Malt
Au pied de mon lit, une présence m'oppresse. Elle se dresse, haute et longue, silencieuse; révélée par les lumières de la rue. Rapidement, je m'enfouis sous les draps; je tremble, mon cœur se contracte. Et nuit après nuit, son ombre tentaculaire coule sur les murs, m'encercle, m'étouffe, jusqu'à ce que je m'endorme, épuisée. Et nuit après nuit, je tente de lui faire face, rien qu'une seconde de plus, avant que la peur ne m'emporte. Elle m'apparaît comme un négatif, une zone tremblante, hors du réel, un vortex qui engloutirait la nuit elle-même. Je m'accroche de toutes mes forces à ses contours imprécis, à cette impression à contre-nuit qui persiste, qui s'imprime sur ma rétine. Il me faut lui donner une forme, un nom. La faire mienne.
Au pied de mon lit, une présence m'obsède. Faiblement éclairée, elle s'incarne, troublante, en un être vêtu d'un long manteau rigide. La forme au-dessus de sa tête me laisse deviner le port de ce que je crois être une casquette de marin. Telle une statue de sel, mon Corto Maltese chimérique se tient immobile. Dans ce jeu d'ombres et de lumières, il ne respire pas. Pourtant, je suis certaine qu’il vit. Ce n'est plus la présence absente, diffuse et sinistre qui m'attendait chaque soir, dès la lampe de chevet éteinte. C'est une ombre monochrome et tangible, intrigante. Si j'avançais les doigts vers elle, je saisirais une main particulièrement chaude; d'instinct, je le sais. Je la guiderais vers moi, jusqu'à sentir enfin ce corps étranger contre le mien. Je veux tant l'appréhender, le toucher, être touchée.
Au pied de mon lit, une présence m'envoûte. Nuit après nuit, je regagne ma chambre de plus en plus tôt pour éteindre la lumière et bien vite retrouver cette ombre langoureuse. Mon corps se tend lorsqu'elle se glisse dans mon dos, frôle mes épaules, caresse mes bras. Ma respiration s'accélère et sous mes paupières closes, mon imaginaire bat la chamade, dessine en mille couleurs ses yeux, ses lèvres. J'ai tant envie de l'embrasser. De désir, j’ondule sur ma couette, jambes écartées; un souffle descend de mon cou vers mes seins, vers mes hanches. Ma peau frémit, mon bas-ventre pulse. Je ne tiens plus. Mes doigts agrippent les draps alors que mon corps s'arc-boute. Je me retourne précipitamment, gémissements au bord des lèvres, attrape un long oreiller que je glisse sous mon corps, presse contre mon pubis. J’étincelle de plaisir, prête à prendre feu, j'enserre le traversin de mes cuisses déjà moites. Oh! Pourvu que cette nuit encore, l'on n'entende rien de mes soupirs et de mes coups de reins.
En un souffle
Un poème de Laurence Mongeau
dans la nuit
se surprendre à regarder
s’étendre nos images
en une douce symphonie
une valse en devenir
c’est toujours au fond de tes yeux
au creux de tes coudes
que me caressent
lentement
les reflets sur ma peau
la lueur blafarde de nos premiers instants
dans la nuit
danse autour de nous
murmure nos constellations
et se cache entre deux soupirs
pour y puiser le silence
de nos aurores
boréales
